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12.10.22 | Rapport France 2030 - Intervention en commission Affaires économiques

L'INTERVENTION EST A RETROUVER DANS SON INTEGRALITE EN CLIQUANT ICI


Monsieur le Président, Mes chers collègues,

« Entreprendre consiste à changer un ordre existant ». C’est par cette phrase, issue de son célèbre ouvrage sur la théorie de l’évolution économique publié en 1911, que Joseph Schumpeter définissait l’innovation, qui ne se limite pas à la découverte d’une invention, mais à son introduction dans le champ social et à la massification de ses usages. L’histoire de l’industrie européenne est ainsi remplie des audaces technologiques qui ont permis de faire émerger le monde moderne qui nous est si familier. Est-il nécessaire de rappeler à ceux qui possèdent une voiture thermique que le moteur à explosion a conquis ses lettres de noblesse lors de la course Paris-Bordeaux en 1895, événement qui fut également l’occasion pour un certain Edouard Michelin de montrer l’intérêt des pneus en caoutchouc gonflables ? 

L’innovation, bien évidemment, ne naît pas toute seule : elle suppose un effort d’investissement et un environnement propice à la diffusion de la connaissance. Sur ce point, force est de constater que, depuis de nombreuses années, la France, patrie de l’automobile et du TGV, avait tendance, si vous me permettez l’expression, à « dormir sur ses lauriers ». Selon le classement mondial de l’innovation établi chaque année par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), notre pays n’était plus qu’au 24ème rang mondial en 2012. 

Bien entendu, il serait injuste d’affirmer que la France serait restée inerte au cours de la dernière décennie. Dès l’année 2009, MM. Alain Juppé et Michel Rocard, co-présidents de la commission sur l’emprunt national, avaient déjà alerté sur la nécessité « d’investir pour l’avenir » afin, précisaient-ils, d’en « finir avec la litanie des mauvaises nouvelles, avec cette vilaine paresse qu’est l’acceptation du déclin. » C’est précisément cette prise de conscience qui a donné naissance en 2010 au Programme d’investissements d’avenir (PIA), dispositif public de soutien à l’innovation massif, agile et protéiforme. 

Est-il nécessaire de rappeler que, derrière le campus de Paris-Saclay, le réacteur de recherche nucléaire Jules Horowitz à Cadarache ou plus simplement la ferme agroécologique dite « de l’Envol » dans ma circonscription à Brétigny-sur-Orge, c’est le même outil de financement public qui est à l’œuvre ? 

Nul doute que le PIA fut au cœur des réussites françaises de ces dernières années, permettant à notre pays de remonter à la 11ème place mondiale de l’innovation en 2021. Avec le dispositif « France 2030 », annoncé en octobre dernier par le président de la République, le PIA passe aujourd’hui à la vitesse supérieure. 

Tout d’abord, les montants en jeu sont considérables : plus de 50 milliards d’euros si on ajoute aux 34 milliards d’euros votés l’an dernier les fonds du 4ème PIA (16 milliards d’euros). Mais la philosophie de ce plan témoigne également de la volonté d’accélérer le mouvement : au-delà des programmes de recherche dirigés et des dispositifs de valorisation, les fonds publics ont désormais pleinement vocation à accompagner les acteurs industriels dans la diffusion de leurs technologies sur les marchés. 

Je m’attarderai un instant sur les batteries électriques pour automobiles pour illustrer mon propos. Ainsi, quand l’État a choisi de soutenir la co-entreprise ACC dans son projet de « gigafactory » de batteries à Douvrin (Pas-de-Calais) il y a trois ans, il a fallu, non seulement, concevoir des machines et des centres de recherche, mais aussi, plus prosaïquement, aider à la construction d’un corps de bâtiments offrant un haut degré de protection contre l’humidité. En effet, un environnement parfaitement sec est la condition nécessaire à la fabrication des batteries lithium-ion qui équipent aujourd’hui 85 % des véhicules électriques dans le monde. 

Le PIA et, aujourd’hui, France 2030 soutiennent l’installation de deux des trois gigafactories envisagés sur le territoire national à brève échéance. Selon les données fournies par les sociétés elles-mêmes, les projets français pourraient, avec 166 gigawattheures, couvrir en 2030 plus de 15 % des besoins du marché européen. Comme l’indiquait le président de la République lors de sa conférence de presse du 12 octobre 2021, il s’agit là d’une création de valeur dans la durée qui aidera notre pays à rester maître de son destin dans le domaine de la mobilité électrique. 

1. Analyse des crédits du projet de loi de finances pour 2023 

Évoquons maintenant le contenu de la mission « France 2030 » inscrite dans le projet de loi de finances pour 2023 qui a été soumis à l’aval de notre Assemblée. 

À première vue, les crédits alloués aux cinq programmes (421, 422, 423, 424 et 424) affichent une forte diminution entre 2022 et 2023 (- 99 % en autorisations d’engagement et - 13 % en crédits de paiement). Disons-le d’emblée : cette évolution mathématique est trompeuse. Il est, en effet, logique que les autorisations d’engagement diminuent cette année, car les 34 milliards d’euros inscrits dans la loi de finances pour 2022 ont été intégralement consommées cette année dès la conclusion d’un contrat entre le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) et ses 4 opérateurs (ANR, Caisse des dépôts et consignations, ADEME et Bpifrance).

S’agissant des crédits de paiement, la diminution se concentre sur les trois premiers programmes (421, 422 et 423), qui correspondent à la mise en œuvre des trois premiers PIA, actuellement en extinction. 

En toute logique, les crédits alloués aux programmes 424 et 425, qui regroupent les fonds du PIA 4 et de « France 2030 », progressent de plus de 4 % entre 2022 (5,5 milliards d’euros) et 2023 (5,7 milliards d’euros). L’année 2023 s’inscrit donc dans la parfaite continuité des orientations fixées l’an dernier. 

2. Gouvernance du dispositif « France 2030 »

Attardons-nous désormais quelques instants sur la gouvernance de ce dispositif éminemment original au sein des outils de politique publique. Fidèle à la volonté du président de la République d’insuffler un « esprit commando », France 2030 se distingue par l’absence de toute procédure-type, tout étant réglé par des conventions entre le SGPI et ses opérateurs, puis entre ces derniers et les bénéficiaires des fonds. 

La cohérence de l’ensemble du dispositif est assurée par les services du Premier ministre et, par délégation, les ministères concernés, au travers du pilotage de toute nouvelle mesure, qu’il s’agisse du lancement d’un appel à projets ou de la mise en place d’un grand projet de recherche dirigée, désigné sous l’acronyme de PEPR. 

Cet encadrement national a son intérêt, puisqu’il substitue une stratégie et des moyensà une logique de guichet et de « saupoudrage » décriée depuis longtemps par certains organismes de recherche, tels qu’INRIA. Tout au plus peut-on déplorer un excès de centralisme sur certaines étapes de procédure ainsi qu’un empilement des acteurs peu propice à la lisibilité des procédures et à la réactivité dans la prise de décision. Au cours des différentes auditions, les organismes de recherche et les opérateurs de « France 2030 » ont tous mis en avant les délais, parfois pénalisants, pour valider un PEPR ou pour sélectionner des candidats à un appel à projets. Imaginez-vous, mes chers collègues, qu’il a fallu plus de deux ans, entre juin 2020 et juillet 2022, pour mettre en place le PEPR Prezode sur les pandémies d’origine animale ! 

J’estime qu’un effort doit être fait dans la simplification du dispositif : l’échelon central devrait intervenir uniquement en amont puis en aval, l’opérateur ayant vocation à être pleinement responsabilisé dans la constitution des instances d’expertise ou la pré-sélectiondes dossiers. Incontestablement, ces lourdeurs ont joué un rôle dans le retard pris dans la mise en œuvre des stratégies d’investissement relatives à l’agroécologie et à la santé numérique, deux des thématiques au cœur de l’avis que je vous présente. 

3. Le plan Batteries

J’en viens maintenant au troisième thème plus particulier que j’ai choisi d’explorer cette année pour le rapport que je vous présente, à savoir les batteries électriques. Comme je l’évoquais tout à l’heure, les enjeux qui entourent cette technologie sont considérables. 

L’Europe, qui a choisi de se détourner des véhicules thermiques en 2035, reste largement dépendant de la Chine, qui assure près de 80 % de la production mondiale de batteries au lithium-ion. Le géant chinois CATL représenterait à lui-seul une capacité de production de 300 gigawattheures, soit près du tiers du marché mondial. Les quelque 30 projets de gigafactories qui se développent actuellement sur le territoire de l’Union européenne ont, dès lors, vocation à empêcher que le marché de la mobilité individuelle sur notre continent soit indirectement aux mains de nos concurrents. 

Vous comprendrez, mes chers collègues, que le mot de « souveraineté européenne » prend ici tout son sens. Nos entreprises doivent couvrir à l’horizon l’ensemble de la chaîne de valeur, depuis la matière première jusqu’à l’assemblage de la batterie dans le moteur du véhicule, voire sa réutilisation après usage. Les auditions que j’ai menées dans le cadre du présent avis budgétaire ont renforcé deux de mes convictions en la matière. 

Le premier de ces constats réside dans le fait qu’à mon sens, rien ne pourra se faire sans l’appui de l’Union européenne. N’en déplaise aux contempteurs du marché unique européen, celui-ci permet aux États de coopérer afin d’aider directement des entreprises dans le cadre des « projets importants d’intérêt européen commun » (PIIEC). Rappelons, ainsi, que le projet de gigafactory d’ACC n’aurait pu voir le jour sans l’appui de la France (846 millions d’euros) et de l’Allemagne (437 millions d’euros). 

Les PIIEC représentent un outil propice à l’impulsion d’une véritable politique industrielle à l’échelon du continent. Saisissons‑nous pleinement de cette opportunité ! 

Ainsi, je souhaite que, conformément à ce qu’indiquait M. Philippe Varin dans son rapport remis au Gouvernement en début d’année, toute la chaîne d’approvisionnement de l’industrie en métaux critiques (lithium, nickel, cobalt, etc.) bénéficie d’un large soutien des États membres de l’Union au travers d’un PIIEC qui lui serait consacré. 

Ma seconde conviction concerne le recyclage des batteries, qui permettra de compenser en partie l’absence de métaux critiques sur notre continent. Une batterie au lithium-ion, même usagée, conserve encore plus de 70 % de sa capacité et peut être réemployée dans d’autres machines. Ses matériaux peuvent également être récupérés, qu’il s’agisse des aimants ou des systèmes électroniques. 

Sur ce dernier point, on peut regretter que les activités de recherche sur le recyclage soient encore trop peu au cœur de « France 2030 » et laissées aux seules mains de l’initiative privée. 

Certes, des PEPR sont en cours de déploiement, en particulier sur la recyclabilité des matériaux à titre général ainsi que sur les futures générations de batteries. Mais l’étape intermédiaire, à savoir la réutilisation de tous les composants figurant dans les modèles de batteries existants, paraît encore insuffisamment mise en avant. 

Ainsi, c’est, en partie, pour élargir l’effort de recherche français à cette thématique du recyclage des batteries que le présent avis conclut à la nécessité de renforcer les moyens en crédits de paiement (CP) de l’action n° 01 (PEPR) du programme 424 dans le PLF pour 2023. 

Vous l’aurez compris : le projet de budget pour 2023 se situe dans la continuité du plan annoncé l’an dernier. À ce titre, il doit être conforté. Pour toutes ces raisons, j’émets un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 » et vous remercie, mes chers collègues, pour votre attention.